Par Christy Nichols et Jessica Nicholas
Christy Nichols était étudiante de premier cycle, avec une spécialisation en biologie et une concentration en français, quand elle a écrit des parties de cette entrée de blog au sujet de la langue régionale de l’Alsace-Lorraine, une région de la France. C’était en printemps 2012 pour le cours du Centre de l’Union Européenne, « Langues Minoritaires et Régionales en Europe ».
Jessica Nicholas, est étudiante de doctorat dans le Département de Français, avec une spécialisation en linguistique française. Elle a un intérêt particulier en idéologie, variation, et formation de la langue. Elle est une des éditrices associées du site-web de blog du Centre de l’Union Européenne, Linguis Europae. Elle a formulé l’entrée de blog de Christy à son état actuel.
La région française de l’Alsace-Lorraine est l’un des territoires les plus importants de l’Union Européenne, parce que la région partage des frontières avec la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne, et la Suisse et elle accueille des dizaines d’organisations internationales. Elle possède une histoire tumultueuse, déchirée durant des siècles entre l’Allemagne et la France. Ces deux puissances fondatrices de l’Union Européenne ont donc laissé leurs empreintes indélébiles sur cette région de la France, dont la culture hybride franco-germanique a pu même induire en erreur le Président Nicolas Sarkozy qui, lors d’un discours de 2011 adressé à la France rurale, a attribué cette région à l’Allemagne! (Cliquez sur le vidéo pour entendre cette erreur!)
Il convient de noter que l’histoire ancienne de cette région témoigne déjà d’un mélange culturel dans la mesure où la présence simultanée des Romains et des tribus germaniques est attestée sur son territoire depuis avant l’arrivée des Romains, et ce jusqu’au départ des Romains au 5ème siècle. En 870, l’Alsace devient une possession allemande. Pendant le 17ème et le 18ème siècle, la France annexe Strasbourg, la capitale régionale, et les territoires de la Lorraine et de la Moselle. La plus grande partie de l’Alsace, y compris les écoles, étaient administrativement françaises mais culturellement allemandes jusqu’en 1859. Après la guerre franco-prussienne en 1871, l’Alsace devient à nouveau allemande. Jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale en 1918, l’Alsace-Lorraine faisait donc partie de l’Empire allemand. En 1940, l’Allemagne nazie l’annexe au Troisième Reich, et le territoire ne revient à la France qu’avec la Libération en 1945.
La fin de la guerre en1945 marque le point bas des relations franco-allemandes et le gouvernement français interdit l’usage de la langue allemande à l’école. Il faut attendre vingt ans pour le premier signe de reconnaissance de la culture régionale locale en Alsace. Alors que la Loi Deixonne, dès 1951, ouvre la voie à l’enseignement du breton, du basque, de l’occitan et du catalan en France, le parler germanique de l’Alsace-Lorraine, tâché des souvenirs du nazisme et de l’occupation allemande ne reçoit pas la même reconnaissance que les autres langues régionales après la guerre. Ce n’est qu’en 1985 que la France reconnaît ce dialecte de l’allemand comme l’une de ses langues régionales, fortement soutenue par une nouvelle génération d’Alsaciens qui a une attitude beaucoup plus positive envers son identité régionale franco-germanique que la génération de ses parents.
Au début des années 1990, les écoles primaires alsaciennes ont été autorisées à commencer une instruction bilingue français-allemand. La langue de l’instruction en Alsace est le français. Les parents voulant scolariser leurs enfants à une école bilingue doivent apporter la preuve à l’Académie de Strasbourg qu’il y a suffisamment de familles intéressées à l’enseignement bilingue.
Une complication supplémentaire provient du fait que la langue locale n’est pas une langue standardisée avec une orthographe et des livres de grammaire avec des règles à enseigner aux écoliers. L’instruction en allemand, lorsqu’elle est offerte, est en haut allemand, donc en allemand de prestige écrit et lu à travers l’Europe allemanophone. Il n’est donc guère étonnant que lors de l’introduction des écoles bilingues, les professeurs recrutés localement en Alsace ne savent pas toujours parler le haut allemand, ce qui cause des problèmes dans la profession.
Pendant tous ces changements, les Alsaciens ont toujours continué de parler l’alsacien en dehors des écoles et des contextes formels. Néanmoins, la francisation forcée après les guerres a entraîné le déclin de la langue alsacienne. Ce sont les mouvements régionalistes qui ont pris pour mission de protéger la langue locale. Parmi eux, le mouvement régionaliste « l’Alsace d’abord », est un parti politique qui est à la recherche d’autonomie politique et économique. Les partisans de ce parti soutiennent l’idée d’une région bilingue, avec le français et l’alsacien comme langues officielles.
Bien que l’Alsace soit un territoire extrêmement important pour l’Union Européenne et le fait que la langue alsacienne constitue un lien culturel étroit entre deux pays fondateurs de l’Union, la langue alsacienne n’a pas de statut officiel en Alsace-Lorraine. Le gouvernement français a signé la Charte Européenne des Langues Régionales ou Minoritaires en 1992, mais il ne l’a pas encore ratifiée. Malgré l’ajout d’une clause particulière à la Constitution en 2008, reconnaissant les langues régionales comme faisant partie du patrimoine de la République, la langue de la République demeure le français, interdisant la division du peuple. Sans changer la Constitution (ou son interprétation), il est peu probable que la France ratifie bientôt cette Charte. Le parlement a récemment voté pour la ratification, mais il n’a pas réussi à obtenir le numéro de votes requis.
Alors, quel avenir pour l’alsacien, la langue parlée dans la région ?
Il y a actuellement un regain d'intérêt pour la langue alsacienne. La reconnaissance des cultures régionales comme une richesse du patrimoine culturel de la France dans la Constitution (loi constitutionnelle du 23 juillet 2008) a sans doute contribué à l’essor de la préservation des langues régionales. On voit de plus en plus de noms de rues bilingues à Strasbourg.
L’alsacien est désormais reconnu comme une langue de France, et les étudiants au lycée peuvent choisir de l’étudier. Mais tous ces avantages que l’alsacien reçoit actuellement en Alsace pourraient être annulés par des gaffes comme celle de Nicolas Sarkozy, qui a affirmé d’être en Allemagne lors de son séjour en Alsace. Ce n’était qu’un lapsus, puisque « Alsace » et « Allemagne » commencent par les mêmes sons, mais l’identité française de la région est toujours sous question. Cela pourrait pousser les Alsaciens à développer la nécessité de prouver leur identité française, comme ils l’avaient fait après la guerre, et donc d’abandonner leur langue régionale. En préservant l’alsacien, au contraire, ils pourraient peut-être décider de mettre plus d’emphase sur leur fierté d’être alsacien, et préserver la langue comme un vestige de la culture locale.
On anticipe maintenant l’avenir de l’alsacien en Alsace. La plupart des gens parlant le dialecte sont âgés et la transmission de la langue au sein des familles est en déclin depuis la guerre. L‘alsacien est menacé des côtés allemand et français par deux langues puissantes parlées, écrites, et lues dans les institutions de l’état et de l’Union Européenne. La politique linguistique de la France et de l’Union Européenne des prochaines décennies va déterminer si l’alsacien va survivre dans le peu de domaines privés qui lui sont encore réservés.
Thank you to the following people for their editing:
Zsuzsanna Fagyal, Stéphanie Gaillard, Jui Namjoshi, Alessia Zulato, Laura Poulousky
Read this post in English: http://eucenterillinois-language.blogspot.com/2013/03/alsacian-language-with-many-identities.html
Sources:
Atchley, Sharon. "The French Region of Alsace." French at a Touch. Independent
Contractor of Nexicon, 18 Apr. 2012. Web. 30 Apr. 2012. http://www.french-at-a-touch.com/French_Regions/Alsace/alsace_1.htm.
Huck, Dominique, Arlette Bothorel-Witz, and Anemone Geiger-Jaillet. Report on the
Linguistic Situation in ALSACE. Report on the Linguistic Situation in ALSACE.
Language Bridges. Web. 20 Apr. 2012. http://ala.u-strasbg.fr/documents/Publication-%20situation%20linguistique%20-%20version%20anglaise.pdf.
Kozhemyakov, Alexey. "The European Charter for Regional or Minority Languages 1992 – 2012, 20 years after: Achievements and New Challenges." Presentation at Symposium for the 20th anniversary of the European Charter for Regional or Minority Languages. University of Illinois at Urbana-Champaign. 5 November, 2012.
"Languages in Alsace." Getalsaced.com. Getalsaced.com, 2007. Web. 20 Apr. 2012. http://www.getalsaced.com/languages-in-alsace.html.
Images:
Map of Alsace, http://claude.behr.pagesperso-orange.fr/flyfishing/images/France.gif, accessed 3/6/13.
"Do you speak Alsatian?" http://blog.unsri-heimet.eu/archives/interdiction-de-l%E2%80%99alsacien-par-le-pole-emploi-de-guebwiller-en-2008/, accessed 3/6/13.
"Soiree Alsacienne," http://louisdressner.com/date/2012/4/10/109/, accessed 3/6/13.
"Cat Street," http://www.lexiophiles.com/english/france-%E2%80%93-belgium-bilingual-road-signs, accessed 3/6/13.
Christy Nichols était étudiante de premier cycle, avec une spécialisation en biologie et une concentration en français, quand elle a écrit des parties de cette entrée de blog au sujet de la langue régionale de l’Alsace-Lorraine, une région de la France. C’était en printemps 2012 pour le cours du Centre de l’Union Européenne, « Langues Minoritaires et Régionales en Europe ».
Jessica Nicholas, est étudiante de doctorat dans le Département de Français, avec une spécialisation en linguistique française. Elle a un intérêt particulier en idéologie, variation, et formation de la langue. Elle est une des éditrices associées du site-web de blog du Centre de l’Union Européenne, Linguis Europae. Elle a formulé l’entrée de blog de Christy à son état actuel.
La région française de l’Alsace-Lorraine est l’un des territoires les plus importants de l’Union Européenne, parce que la région partage des frontières avec la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne, et la Suisse et elle accueille des dizaines d’organisations internationales. Elle possède une histoire tumultueuse, déchirée durant des siècles entre l’Allemagne et la France. Ces deux puissances fondatrices de l’Union Européenne ont donc laissé leurs empreintes indélébiles sur cette région de la France, dont la culture hybride franco-germanique a pu même induire en erreur le Président Nicolas Sarkozy qui, lors d’un discours de 2011 adressé à la France rurale, a attribué cette région à l’Allemagne! (Cliquez sur le vidéo pour entendre cette erreur!)
Il convient de noter que l’histoire ancienne de cette région témoigne déjà d’un mélange culturel dans la mesure où la présence simultanée des Romains et des tribus germaniques est attestée sur son territoire depuis avant l’arrivée des Romains, et ce jusqu’au départ des Romains au 5ème siècle. En 870, l’Alsace devient une possession allemande. Pendant le 17ème et le 18ème siècle, la France annexe Strasbourg, la capitale régionale, et les territoires de la Lorraine et de la Moselle. La plus grande partie de l’Alsace, y compris les écoles, étaient administrativement françaises mais culturellement allemandes jusqu’en 1859. Après la guerre franco-prussienne en 1871, l’Alsace devient à nouveau allemande. Jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale en 1918, l’Alsace-Lorraine faisait donc partie de l’Empire allemand. En 1940, l’Allemagne nazie l’annexe au Troisième Reich, et le territoire ne revient à la France qu’avec la Libération en 1945.
La fin de la guerre en1945 marque le point bas des relations franco-allemandes et le gouvernement français interdit l’usage de la langue allemande à l’école. Il faut attendre vingt ans pour le premier signe de reconnaissance de la culture régionale locale en Alsace. Alors que la Loi Deixonne, dès 1951, ouvre la voie à l’enseignement du breton, du basque, de l’occitan et du catalan en France, le parler germanique de l’Alsace-Lorraine, tâché des souvenirs du nazisme et de l’occupation allemande ne reçoit pas la même reconnaissance que les autres langues régionales après la guerre. Ce n’est qu’en 1985 que la France reconnaît ce dialecte de l’allemand comme l’une de ses langues régionales, fortement soutenue par une nouvelle génération d’Alsaciens qui a une attitude beaucoup plus positive envers son identité régionale franco-germanique que la génération de ses parents.
Au début des années 1990, les écoles primaires alsaciennes ont été autorisées à commencer une instruction bilingue français-allemand. La langue de l’instruction en Alsace est le français. Les parents voulant scolariser leurs enfants à une école bilingue doivent apporter la preuve à l’Académie de Strasbourg qu’il y a suffisamment de familles intéressées à l’enseignement bilingue.
Une complication supplémentaire provient du fait que la langue locale n’est pas une langue standardisée avec une orthographe et des livres de grammaire avec des règles à enseigner aux écoliers. L’instruction en allemand, lorsqu’elle est offerte, est en haut allemand, donc en allemand de prestige écrit et lu à travers l’Europe allemanophone. Il n’est donc guère étonnant que lors de l’introduction des écoles bilingues, les professeurs recrutés localement en Alsace ne savent pas toujours parler le haut allemand, ce qui cause des problèmes dans la profession.
Pendant tous ces changements, les Alsaciens ont toujours continué de parler l’alsacien en dehors des écoles et des contextes formels. Néanmoins, la francisation forcée après les guerres a entraîné le déclin de la langue alsacienne. Ce sont les mouvements régionalistes qui ont pris pour mission de protéger la langue locale. Parmi eux, le mouvement régionaliste « l’Alsace d’abord », est un parti politique qui est à la recherche d’autonomie politique et économique. Les partisans de ce parti soutiennent l’idée d’une région bilingue, avec le français et l’alsacien comme langues officielles.
Bien que l’Alsace soit un territoire extrêmement important pour l’Union Européenne et le fait que la langue alsacienne constitue un lien culturel étroit entre deux pays fondateurs de l’Union, la langue alsacienne n’a pas de statut officiel en Alsace-Lorraine. Le gouvernement français a signé la Charte Européenne des Langues Régionales ou Minoritaires en 1992, mais il ne l’a pas encore ratifiée. Malgré l’ajout d’une clause particulière à la Constitution en 2008, reconnaissant les langues régionales comme faisant partie du patrimoine de la République, la langue de la République demeure le français, interdisant la division du peuple. Sans changer la Constitution (ou son interprétation), il est peu probable que la France ratifie bientôt cette Charte. Le parlement a récemment voté pour la ratification, mais il n’a pas réussi à obtenir le numéro de votes requis.
Alors, quel avenir pour l’alsacien, la langue parlée dans la région ?
Il y a actuellement un regain d'intérêt pour la langue alsacienne. La reconnaissance des cultures régionales comme une richesse du patrimoine culturel de la France dans la Constitution (loi constitutionnelle du 23 juillet 2008) a sans doute contribué à l’essor de la préservation des langues régionales. On voit de plus en plus de noms de rues bilingues à Strasbourg.
L’alsacien est désormais reconnu comme une langue de France, et les étudiants au lycée peuvent choisir de l’étudier. Mais tous ces avantages que l’alsacien reçoit actuellement en Alsace pourraient être annulés par des gaffes comme celle de Nicolas Sarkozy, qui a affirmé d’être en Allemagne lors de son séjour en Alsace. Ce n’était qu’un lapsus, puisque « Alsace » et « Allemagne » commencent par les mêmes sons, mais l’identité française de la région est toujours sous question. Cela pourrait pousser les Alsaciens à développer la nécessité de prouver leur identité française, comme ils l’avaient fait après la guerre, et donc d’abandonner leur langue régionale. En préservant l’alsacien, au contraire, ils pourraient peut-être décider de mettre plus d’emphase sur leur fierté d’être alsacien, et préserver la langue comme un vestige de la culture locale.
On anticipe maintenant l’avenir de l’alsacien en Alsace. La plupart des gens parlant le dialecte sont âgés et la transmission de la langue au sein des familles est en déclin depuis la guerre. L‘alsacien est menacé des côtés allemand et français par deux langues puissantes parlées, écrites, et lues dans les institutions de l’état et de l’Union Européenne. La politique linguistique de la France et de l’Union Européenne des prochaines décennies va déterminer si l’alsacien va survivre dans le peu de domaines privés qui lui sont encore réservés.
Thank you to the following people for their editing:
Zsuzsanna Fagyal, Stéphanie Gaillard, Jui Namjoshi, Alessia Zulato, Laura Poulousky
Read this post in English: http://eucenterillinois-language.blogspot.com/2013/03/alsacian-language-with-many-identities.html
Sources:
Atchley, Sharon. "The French Region of Alsace." French at a Touch. Independent
Contractor of Nexicon, 18 Apr. 2012. Web. 30 Apr. 2012. http://www.french-at-a-touch.com/French_Regions/Alsace/alsace_1.htm.
Huck, Dominique, Arlette Bothorel-Witz, and Anemone Geiger-Jaillet. Report on the
Linguistic Situation in ALSACE. Report on the Linguistic Situation in ALSACE.
Language Bridges. Web. 20 Apr. 2012. http://ala.u-strasbg.fr/documents/Publication-%20situation%20linguistique%20-%20version%20anglaise.pdf.
Kozhemyakov, Alexey. "The European Charter for Regional or Minority Languages 1992 – 2012, 20 years after: Achievements and New Challenges." Presentation at Symposium for the 20th anniversary of the European Charter for Regional or Minority Languages. University of Illinois at Urbana-Champaign. 5 November, 2012.
"Languages in Alsace." Getalsaced.com. Getalsaced.com, 2007. Web. 20 Apr. 2012. http://www.getalsaced.com/languages-in-alsace.html.
Images:
Map of Alsace, http://claude.behr.pagesperso-orange.fr/flyfishing/images/France.gif, accessed 3/6/13.
"Do you speak Alsatian?" http://blog.unsri-heimet.eu/archives/interdiction-de-l%E2%80%99alsacien-par-le-pole-emploi-de-guebwiller-en-2008/, accessed 3/6/13.
"Soiree Alsacienne," http://louisdressner.com/date/2012/4/10/109/, accessed 3/6/13.
"Cat Street," http://www.lexiophiles.com/english/france-%E2%80%93-belgium-bilingual-road-signs, accessed 3/6/13.
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